La dépression chez l'enfant et l’adolescent

Jean-Baptiste : Docteur KHALIL, vous êtes médecin psychiatre, spécialiste de la petite enfance et de l’adolescence. Vous êtes diplômé de la faculté de Médecine de Marseille puis vous avez exercé très longtemps à La Timone, Hôpital Universitaire de Marseille.

Docteur Philippe KHALIL : J’ai 61 ans, je suis natif de Marseille, j’ai fait mon parcours scolaire et universitaire à la faculté de Médecine de Marseille. J’ai très tôt été fasciné par cet organe le cerveau mais contrairement à mon père qui avait choisi la neurologie, j’ai préféré les tourments de l’âme et ses pensées intimes.

J-B : Votre spécialité c’est la psychiatrie appliquée aux enfants, aux petits enfants et aux adolescents. Aujourd’hui on va aborder un sujet qui n’est pas facile. On a d’ailleurs du mal à associer ces mots : dépression enfance / dépression adolescence. Est-ce que vous pouvez déjà nous expliquer à partir de quel âge on peut rencontrer la dépression chez les enfants ?

Dr P-K : On a longtemps considéré que les enfants, voire les adolescents, étaient protégés de tout trouble psychique en raison de l’immaturité de leurs structures cérébrales. Il était acté qu’un nourrisson, un petit enfant, voire un pré-adolescent, ne pouvaient pas être déprimés ou être atteints d’une quelconque pathologie psychique. Il a fallu attendre le congrès de Stockholm, congrès de pédopsychiatrie en 1971, pour que l’on reconnaisse la dépression – un déficit de l’humeur – chez l’enfant et chez l’adolescent. La dépression est l’un des principaux sujets de discussion de la psychiatrie contemporaine pour de multiples raisons : problèmes de définition dans ses rapports avec la normalité, problèmes étiologiques dans la reconnaissance éventuelle d’un trouble organique ou psychique dont elle serait l’une des manifestations, enfin problèmes nosologiques entre les anciens et les modernes. L’humeur appelée encore thymie est cette disposition affective fondamentale du psychisme, riche de toutes les instances émotionnelles et instinctives, qui fait que l’individu se sent triste ou gai, qu’il apprécie la situation dans laquelle il évolue comme agréable ou désagréable (notion voisine du plaisir ou de la gêne). Toute situation qui génère un traumatisme affectif est susceptible d’évoluer vers un état dépressif, mais la réalité clinique de la dépression de l’enfant a été régulièrement réaffirmée comme si son existence n’allait pas de soi.

J-B : En médecine donc, vous parlez d’une période à partir de laquelle on peut dire que là, on est vraiment dans une phase de dépression, ce n’est pas simplement de la tristesse ou de la mélancolie ?

Dr P-K : Exactement. Chez l’adulte, c’est une humeur vraiment délabrée, effondrée sur plusieurs semaines avec une kyrielle de symptômes bien définit dans les classifications internationales. En ce qui concerne les enfants et les adolescents, les critères sont particuliers et ne correspondent pas toujours aux symptômes classiques rencontrés chez l’adulte, le maintien des signes cliniques sur une durée de temps assez courte de l’ordre de quinze jours peuvent s’étaler dans le temps.

J-B : Donc quand on a une période de 15 jours où on sent un malaise, une tristesse, une mélancolie qui s’installe, là on peut commencer à dire que c’est un des premiers critères ?

Dr P-K : Oui, c’est un des premiers critères puis il y en a d’autres : toute une série de symptômes, de signes cliniques, vont s’additionner les uns aux autres tels que la tristesse, la mésestime de soi, le ralentissement psychomoteur… Chez l’adolescent par exemple, on note un effondrement des plaisirs habituels. Il y a beaucoup de points communs entre la dépression de l’adolescent et celle de l’adulte. En revanche, la dépression de l’enfant est particulière car un petit enfant n’a pas, ne serait-ce qu’au niveau du vocabulaire, toutes les capacités à exprimer son désarroi. Alors l’enfant va exprimer par des signes extérieurs son mal-être qui peuvent ne pas faire penser d’emblée à un état dépressif. L’enfant hyper agité en classe, à la maison, cumulant les petits bobos par-ci par-là, les maladresses domestiques en prenant un « malin » plaisir à se faire du mal, les chutes à répétition, le décrochage scolaire plus classique, la perte des centres d’intérêt et des jeux, etc. Et puis c’est l’enfant qui se révolte, une agressivité inhabituelle, un changement de comportement qui s’inscrit dans la durée. On peut très bien passer à côté du diagnostic puisque même du côté des professionnels de santé, on ne fait pas forcément systématiquement le lien. Disons qu’il faut toujours – en arrière-pensée – avoir cette idée que l’enfant peut éventuellement être dépressif au regard de ce qu’il montre à voir.

J-B : Concrètement, on a un enfant qui change de comportement ou un adolescent avec une mélancolie qui s’installe sur la durée. Au bout de 15 jours, on vient vous voir ? Je suis parent, je viens avec mes enfants. Quels sont les premiers diagnostics que vous allez faire, les premières questions ?

Dr P-K : Il faut avoir beaucoup de pédagogie avec les parents, toujours maintenir une alliance, cette triangulation – enfant, parents ou famille et les soignants –. On reçoit parents et enfant ensemble, c’est très important dans notre métier. La première consultation se fait systématiquement avec l’enfant concerné et les parents pour que l’on parvienne tous au même niveau d’information sur la problématique qui se joue dans le cadre familial. Cela permet bien souvent d’exclure la tentation des fameux secrets de famille qui partent toujours de la belle intention de protéger l’enfant jugé trop petit. L’enfant est tout à fait capable d’entendre ce qui se joue, et ce qui se dit.

J-B : Dans cette triangulation, vous êtes à côté des parents ou de l’enfant ?

Dr P-K : Non, je suis en face des parents et de l’enfant, ils sont tous les trois en face de moi. Il y a un bureau qui peut nous séparer, c’est une configuration classique. L’enfant, lui, peut être entre son papa et sa maman. On donne toujours la parole à l’enfant ou à l’adolescent. Si ce dernier est en difficulté ou a du mal à s’exprimer, je dis toujours « écoute ce n’est pas grave, on va écouter papa, on va écouter maman, et puis toi tu vas nous dire si tu es d’accord ou pas avec ce qui est dit. »

J-B : Qu’est-ce que vous conseillez aux parents pour que l’enfant accepte d’être dans la démarche de venir vous voir, d’aller voir un psychiatre ?

Dr P-K : C’est tout le savoir-faire des parents puisque nous allons recevoir l’enfant quand il aura accepté la rencontre. Vous soulignez-là quelque chose de très important, c’est que la psychiatrie, encore à l’heure actuelle, est doté de cette image inquiétante et péjorative qu’un psychiatre soigne uniquement les fous. Il y a toujours cet amalgame indissociable avec ces pathologies lourdes que sont les psychoses, les schizophrénies… Parfois les parents viennent seuls pour expliquer ce qui ne va pas. Il faut les rassurer comme il faut rassurer l’enfant en leur disant « les psychiatres ce sont des médecins qui soignent comme les médecins de toutes les spécialités, des pathologies très graves, parfois impressionnantes mais aussi des petites choses qui perturbe l’esprit comme des enfants qui ont de petits problèmes psychologiques, un peu en retrait, des difficultés à l’école ou ailleurs… ».

J-B : Une dernière question, un peu difficile à entendre : est-ce que la dépression chez l’enfant et l’adolescent peut aller jusqu’au suicide ?

Dr P-K : Oui, malheureusement enfants et adolescents ne sont pas épargnés des idées suicidaires et de la tentation d’un passage à l’acte. C’est assez rare heureusement mais il faut effectivement rester très attentif suivant la gravité des signes dépressifs présentés…

J-B : Vous avez croisé de nombreux enfants qui ont connu ces phénomènes dépressifs tout au long de votre carrière. Ils sont maintenant adultes. On s’en sort ?

Dr P-K : On s’en sort naturellement mais il faut vraiment s’en soucier et traiter la dépression scrupuleusement parce qu’après peut persister une petite empreinte, une fragilité, une séquelle, qui peut vous suivre tout au long de votre vie. Après le premier épisode des accès récurrents de dépression peuvent survenir et il faut donc la traiter convenablement.

J-B : Merci beaucoup Docteur Philippe KHALIL et bonne continuation.

Dr P-K : Merci à vous.

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